Chapitre 8

 

« Mais tellement de choses ont changé à Béthély ! » avait protesté Lisbeï en retournant se coucher, après la première réunion de l’Assemblée familiale. Antoné s’était frotté les yeux en étouffant un bâillement : « Justement. C’est pour cela que Mooreï a présenté la question à la Famille, et non Tula. Tula leur a déjà fait accepter beaucoup de choses. Il y a des limites, un point… de saturation. Et cette proposition-là…

— Mais c’est presque le même débat que pour l’exploration du continent Ouest !

— Justement, avait répété Antoné. Avec toutes les discussions sur l’exploration à l’Ouest, elles ont peut-être épuisé leurs réserves d’audace, leur capacité de sauter dans l’inconnu. Je sais bien, ce n’est pas rationnel. Mais tout le monde n’est pas rationnelle tout le temps, n’est-ce pas, même à Wardenberg ? Le continent Ouest est loin et il est inconnu. Les Mauterres… ce sont les Mauterres, Lisbeï. Pour d’autres Familles, en Brétanye par exemple, c’est un peu différent, mais ici, à Béthély, tout le monde croit les connaître trop bien. »

Lisbeï le sentait bien elle-même, par le nœud soudain de crainte qui se resserrait à l’énoncé de ce simple nom, un réflexe impossible à supprimer, même après dix années d’absence. Elle était capable de le desserrer à cause de Wardenberg, à cause surtout de l’histoire racontée par le carnet et par Stellane, à cause de sa confiance en son intuition – bien irrationnelle aussi, somme toute. Mais d’autres avaient confiance en d’autres histoires, tout aussi solidement ancrées en elles. Les histoires des Mauterres. Celles de Béthély, aussi. On n’était pas des Juddites, mais on n’était pas des Progressistes. On en avait déjà fait beaucoup trop contre la tradition. Déjà, la première découverte de Lisbeï avait poussé la Famille malgré elle dans une lumière dont elle se serait bien passé. D’accord, la Décision avait validé cette première découverte, mais qu’est-ce que c’était que ce journal chiffré, ce code, cette petite Garde ? Allait-il falloir remettre en question les acquis de la Décision d’Antoné alors qu’on commençait seulement à s’y habituer ? Lisbeï était bien une Béthély et elle avait bien découvert Belmont avec ses méthodes inorthodoxe, on lui était reconnaissante des retombées positives, mais fallait-il qu’elle vint encore causer des ennuis à la Famille avec ses découvertes et ses théories appuyées cette fois sur des éléments encore plus discutables ?

Lisbeï ne pouvait se faire d’illusions : si Béthély comparait les dangers probables aux gains éventuels, la réponse de la Famille serait non. On n’enverrait personne dans les Mauterres. Et on n’enverrait personne après Lisbeï si elle ne revenait pas.

En des temps plus anciens, on aurait offert à Lisbeï la possibilité de s’exiler d’elle-même si elle refusait de se plier à la décision collective. En ce temps-là, au tout début du Pays des Mères, les Bleues continuaient d’appartenir à leur Famille. Ce n’était plus le cas. Si elle décidait d’aller quand même dans les Mauterres et si elle en revenait, on l’accueillerait à Béthély. On essaierait de la soigner si les Mauterres l’avaient empoisonnée. On lui ferait une dolore, même, si elle ne revenait pas ou si elle succombait après son retour.

Tout cela était bien réconfortant ! Dommage qu’elle n’en fût pas plus réconfortée… Ni plus certaine de son choix quand la réponse tomberait. Au moins Tula n’essayait-elle pas de la persuader. Depuis la réunion inopinément transformée en conseil restreint, Tula s’était repliée derrière la Famille, les pourparlers. Elle n’aborderait pas le sujet tant que la Famille n’aurait pas pris de décision. « Tu comprends, n’est-ce pas, Lisbeï ? » avait-elle dit après le conseil, navrée mais inflexible. Lisbeï comprenait, bien sûr. Tula était la Mère, la Capte de Béthély, et elle n’était pas Selva : elle ne maintiendrait pas la Famille dans l’ignorance en attendant une rapide exploration préalable en solitaire, au moins pour vérifier le degré de pollution des Mauterres au-delà des pierres bleues, comme Lisbeï l’avait proposé en dernier ressort, sans conviction, à tout hasard.

« Mais n’as-tu donc rien écouté ? avait dit Tula. Ça ne change rien au principe ! »

Et Lisbeï, honteuse et irritée à la fois, s’était retenue de lui dire qu’il y avait d’autres principes que les siens – quel argument aurait-ce été là ?

« Qu’aurais-tu dit si ce n’était pas moi ? » demanda-t-elle plutôt, butée.

Tula eut l’air exaspérée de nouveau : « Que ce soit toi ou une autre qui aille mettre sa vie en danger dans les Mauterres, ça ne change rien ! »

Lisbeï, au moins une fois, aurait voulu voir Tula se ranger de son côté malgré tout. Ce n’était pas raisonnable, elle le savait bien, les choix de Tula étaient plus limités que les siens à présent, mais cela n’apaisait pas son ressentiment. Et tout cela alors qu’elles venaient à peine de se retrouver ! Mais aussi, quel besoin avait-elle eu de leur dire, à propos du code…

Et comment aurait-elle pu ne rien leur dire, aussi ! Non, chacune agissait comme elle le devait, c’était ainsi, il fallait s’en accommoder. Le temps avait passé, Tula avait changé, Lisbeï aussi, elle le savait, ne se l’étaient-elles pas dit à la gymna ? C’étaient les anciennes habitudes qui parlaient, les anciennes erreurs de Lisbeï à propos de Tula ; elles n’étaient pas pareilles, elles ne seraient jamais pareilles. Et Tula n’essaierait pas de la persuader de renoncer à son idée d’exploration. Même si c’était agaçant qu’elle n’essayât pas de la persuader : devait-elle vraiment être plus fidèle à Lisbeï que Lisbeï elle-même ? Ou bien, c’était sa façon à elle de l’aimer – et Lisbeï n’allait pas la lui reprocher, n’est-ce pas ?

L’atmosphère générale de Béthély ressemblait trop maintenant à celle d’après l’Assemblée de la Décision. Lisbeï avait beau se raisonner, le poids des souvenirs, le poids surtout du décor familier autour d’elle, la rendaient de plus en plus mal à l’aise. Elle dormait mal, se réveillait fatiguée, se laissait facilement irriter… Le sentiment de déjà vu était pénible que ce soit avec Tula, Mooreï, Kélys ou Antoné. Avec une certaine surprise, après les premières interminables journées de discussions, elle constata que la seule personne avec qui elle n’éprouvait pas ce sentiment, c’était Toller.

Au début, Toller avait paru se plaire à Béthély. Il n’y était jamais venu, au contraire de Guiséia. Il connaissait beaucoup de choses de la Famille mais il était curieux de confronter savoir théorique et réalité, comme Lisbeï à Angresea. Il avait retrouvé sa nièce Twyne avec un plaisir partagé. Il avait été heureux de pouvoir rencontrer les petites Vertes sans problème, en particulier celles de Maxime, l’Angresea qui avait été le premier Mâle de Tula. (Une sympathie immédiate avait jailli entre Cynria et lui, en particulier, mais Toller avait d’excellentes relations avec toutes les enfantes de n’importe quel âge.) Intéressé par les ateliers sur la Douve, il avait suggéré à Lisbeï quelques améliorations techniques pour la pulperie, qu’elle avait transmises à Tula, laquelle avait fait suivre avec la diplomatie requise. Il n’avait pas rechigné à donner un coup de main aux dernières cueillettes dans les vergers, aux préparatifs des jardins et des champs pour l’hiver. Il parlait le litali sans accent. On se rendait à peine compte de sa présence. Quand on s’en rendait compte, on ne savait pas très bien pourquoi il était encore là, mais ce n’était pas bien important : ce n’était qu’un Bleu, après tout, fût-il un proche de la Capte d’Angresea. Qu’il fût une relation de Kélys et de Lisbeï, la plupart n’y pensaient même pas. Si on avait entendu parler à Béthély des événements d’Entraygues (une forte délégation de Béthély s’étaient rendue comme d’habitude aux Jeux de l’Assemblée), Lisbeï-championne-des-hommes n’avait pas encore eu le loisir de recouvrir Lisbeï-fille-de-Selva, Lisbeï-qui-aurait-dû-être-la-Mère, Lisbeï-du-carnet-de-Halde, ou Lisbeï-de-Belmont – ni d’ailleurs la toute première, Lisbeï-tout-court, de la garderie ou de la Tour Ouest, que seule Béthély connaissait.

À Toller, elle n’avait rien à prouver, pas d’excuses à présenter. Elle pouvait discuter de tout avec lui sans avoir à tenir compte des préjugés de Béthély. Non que Toller soit dépourvu de biais lui-même – ceux d’Angresea et des Progressistes ; mais il a à leur égard le même genre de distance que j’ai maintenant vis-à-vis de ceux de Béthély. De façon paradoxale, c’est moins difficile de parler avec lui… que même avec Tula. Parce que je ne m’attends pas plus ou moins confusément à ce que Toller me ressemble, je suppose !

Quand elle se mit à rechercher vraiment sa compagnie, elle se rendit compte qu’il essayait de l’éviter, en fut surprise : il n’avait pas agi ainsi au début de leur séjour. Mais, en fait, il évitait maintenant un peu tout le monde, se réfugiait souvent dans la Bibliothèque au lieu de participer aux activités quotidiennes de Béthély. Il était pâle, fiévreux, facilement abrupt. Il essayait de se dissimuler derrière son ancien masque d’impassibilité, sans grand succès quant à ses émotions, mais clairement quant à son intention de ne pas répondre à des questions personnelles. Elle finit par apprendre qu’il avait reçu plusieurs lettres de Brétanye – Guiséia, sans doute. Inquiète à son tour, elle décida de passer outre à la réserve qu’il semblait exiger.

Ce jour-là, elle le trouva à la Bibliothèque, plongé dans d’obscures archives de la fin des Ruches.

« Du nouveau sur les mystères de la Litale ? »

Il leva les yeux vers elle avec un temps de retard : « Pas vraiment. Mais des données intéressantes sur les derniers jours de la Ruche de Béthély.

— Alicia et Markali, les peut-être sœurs ?

— Les sans doute sœurs. Votre hypothèse paraît de plus en plus fondée.

— Un beau sujet de roman, ou de tragédie. Alicia persuadant Markali d’accepter le procès. Ou encore mieux, Markali persuadant Alicia…

— Ou les deux tirant leur rôle respectif au sort.

— Un peu désespéré, non ?

— Il y a des situations où personne ne peut gagner. »

Un peu déconcertée par l’intensité – et l’inefficacité – de l’effort qu’il faisait pour se contrôler, elle essaya l’humour : « Savez-vous que vous êtes en train de vous transformer en fantôme de bibliothèque ? On ne vous voit presque plus ailleurs. »

Il eut un sourire contraint : « Il y a des moments où… la proximité de trop nombreuses personnes devient un peu pénible, finit-il par dire.

— Oui, Béthély est un peu comme Wardenberg de ce point de vue. »

Elle chercha comment continuer, puis, soudain agacée : pourquoi ne pas simplement demander ? « Toller, que se passe-t-il ? Quelque chose ne va pas à Angresea ? »

Il haussa les épaules sans répondre. Elle s’assit en face de lui : « Guiséia ? Pourquoi n’y retournez-vous pas ?

— J’attends la décision de votre Assemblée.

— Pour quoi faire ? Et ce sera non, de toute façon.

— Et la vôtre ? » dit-il d’une voix neutralisée avec soin, après une petite pause.

Elle le contempla, étonnée : « Je ne sais pas encore. Mais si j’y vais, je pense que j’irai seule. » Cette fois, il réagit : « Vous ne pouvez pas.

— Je le dois.

— Kélys ne vous laissera pas faire.

— Mais cela ne vous concerne pas, de toute façon. »

Ce n’était pas la conversation qu’elle avait voulu avoir avec lui ! Elle attendit sa réponse dans le silence qui se prolongeait, avec une prémonition de ce qu’il allait dire.

« J’ai toujours eu envie de visiter une Mauterre, dit-il enfin avec un sourire amer.

— Mais pourquoi ?

— Pourquoi pas ? »

Elle le dévisagea : « Pourquoi ne pas répondre avec une vraie réponse ?

— Pourquoi ne pas poser une vraie question ? » Le reproche avait jailli d’un trait. Toller ne cherchait plus à se contrôler. Puis, aussi brusquement qu’il s’était emporté, il se calma. « Excusez-moi. Je suis un peu fatigué, murmura-t-il d’une voix lasse. Je veux aller dans les Mauterres, avant tout par curiosité, et aussi parce que je n’ai pas vraiment autre chose à faire ailleurs. La réponse vous convient-elle ?

— Et Angresea ? Vous n’avez rien à faire à Angresea ?

— Angresea. » Il soupira. « Faut-il vraiment vous expliquer pourquoi j’ai quitté Angresea ? » Elle hésita : « Non. »

Une fois cela admis, il ne lui restait plus beaucoup de possibilités de conversation. « Comment ça va, alors, là-bas ? demanda-t-elle, en désespoir de cause.

— La Famille, bien. Guiséia, mal : Elle voudrait que je revienne. »

Il ne pouvait pas, bien sûr. Peut-être pas avant longtemps. Même Guiséia devait le comprendre. L’absence de Sylvane était comme un acide qui les rongeait. Incapables d’accepter ensemble sa disparition, elles devraient l’accepter séparément. Et même alors…

« Mais vous n’êtes quand même pas obligé d’aller dans les Mauterres !

— Non. Si. »

Elle allait protester mais il la surprit soudain en se levant : « Allons ailleurs. Vous avez raison, il est temps de parler de tout cela. »

Médusée, elle le suivit jusqu’à l’escalier extérieur, dans la cour, à travers l’Esplanade Sud. Le soleil se couchait, les travailleuses rentraient. Toller ne regardait ni à droite ni à gauche, marchait vite, les mains dans les poches de sa veste, avec une sombre résolution. Le retournement de situation aurait fait rire Lisbeï si elle n’avait pas été si inquiète. Une fois au bord de la Douve, Toller s’arrêta. Ce n’était pas très loin de l’entrée du souterrain, à présent étayée et mise à l’abri des intempéries. Le Bleu s’assit, tapota l’herbe près de lui. Lisbeï prit place à ses côtés. Il ne se tourna pas vers elle, resta les bras autour des genoux à contempler l’eau étale du bief.

« Lisbeï, je ne sais pas ce qui se passe. Je ne sais pas ce qui m’arrive. Je suis un Bleu depuis longtemps. J’ai appris à me contrôler. Je n’ai jamais eu de véritable problème avec… l’abstinence, y compris mentale. L’épisode de la Célébration reste presque incompréhensible pour moi, même compte tenu de nos capacités particulières. Que j’aie été emporté ainsi… Je suis obligé de le constater mais je ne comprends toujours pas. Il faut que la drogue ait eu sur vous un autre effet que sur Guiséia et moi. Elle a peut-être décuplé votre capacité de projection, je ne sais pas. Mais c’était une exception, je n’ai jamais eu de difficultés, par la suite, avec vous. L’autre nuit, au sommet de la Tour… J’étais là-haut quand vous êtes arrivée – je voulais observer la pleine lune au télescope. J’étais de l’autre côté de la Tour. Et tout d’un coup, j’ai perçu… je ne savais pas ce que c’était, mais c’était très net. Je suis allé voir, et vous étiez là, apparemment en transe. Et j’étais incapable de m’en aller, incapable de résister. Vous n’aviez pas pris de drogue, cette nuit-là, n’est-ce pas ? »

Elle dut s’y reprendre à deux fois pour dire, d’une voix altérée : « Non. »

Il tourna vivement la tête vers elle en percevant sa réaction, protesta ; « Non, ce n’est pas du tout ce que vous pensez ! J’ai seulement été pris dans votre transe. Dans la taïtche – si c’était la taïtche. Malgré moi. Pris, attiré, bousculé, basculé dans votre transe. Et sans drogue. Ça vous est déjà arrivé, à vous ? Ou à d’autres avec vous ? »

Elle prit une grande inspiration, la laissa aller.

« Non, dit-elle enfin. Mais je ne me suis pas rendu compte…

— Je sais. » Il lâcha ses genoux, plia les jambes entailleur sous lui pour changer de position. « Je n’ai jamais entendu parler de phénomènes de cette sorte en dehors de la Danse. Même quand on prend la drogue sans Danser – je veux dire, les personnes normales, pas comme nous – on est influençable, mais rien de tel ! Et vous n’en aviez pas pris cette fois-là, de toute façon. »

Elle ne put que répéter, médusée : « Non. »

Il resta silencieux un moment, se balançant d’avant en arrière. Leurs ombres s’allongeaient sur l’eau tranquille d’où la lumière rasante rebondissait vers les berges en un rayonnement un peu tremblé.

« Je ne sais pas ce que j’ai depuis, reprit-il, un peu plus bas. Je ne suis pas certain que ce soit lié, mais…Je ne sais pas. Votre présence… La présence de n’importe quelle femme, mais vous surtout. J’ai du mal à dormir, quand je dors je fais des rêves… étranges. Faites-vous des rêves étranges, Lisbeï ?

— Étranges comment ? » Elle hésita : « Érotiques ?

— Aussi. » Il eut un petit rire sarcastique : « Moi qui étais si… satisfait de ne pas en faire. Je n’en faisais pas, vous savez. Je n’en faisais plus. Du tout. Depuis des années. Mais je ne veux pas parler seulement de ces rêves-là. D’autres rêves. Des rêves… Je ne sais comment dire. Le genre de rêve qui semble dire des choses importantes, mais on n’arrive pas à comprendre lesquelles. »

Lisbeï hocha la tête : « J’en ai fait un mais c’était avant de revenir ici.

— Et depuis ? »

Le rêve s’était répété sous une forme ou une autre, plusieurs fois. Elle avait confusément pensé qu’il cesserait après la découverte du code dans la marelle, mais il était revenu. Ou plutôt, il s’était éparpillé dans d’autres rêves où, comme par contagion, certaines de ses images apparaissaient de temps à autre : divers personnages qui rapetissaient et disparaissaient dans le néant, Selva, Tula, la Garde de la photographie, la marelle sanglante, des versions absurdes et tronquées de la triple énigme du Génie…

« Du sang ? s’exclama Toller. Des rêves de sang ? Je rêve de… de rouge, de choses, de paysages étranges, rouges… »

Elles se dévisagèrent, également stupéfaites. « Mais qu’est-ce que ça pourrait signifier ? dit enfin Lisbeï.

— Je n’en sais vraiment rien, dit Toller, mais je voulais vous en parler. Il s’est passé quelque chose, je ne sais pas quoi, mais c’est lié à vous. »

Elles restèrent sans parler pendant que la lumière baissait, perdues dans des pensées sans doute différentes.

« Et c’est pour cette raison que vous voulez me suivre dans les Mauterres ? » finit par dire Lisbeï, un effort sans conviction pour reprendre le fil de l’autre conversation qu’elle s’était cru sur le point d’avoir avec Toller.

Il se taisait. Elle le regarda. Il accepta de tourner la tête vers elle, avec un demi-sourire fatigué : « Entre autres. »

Si Guiséia m’avait fait une telle réponse, ou Tula, ou n’importe quelle femme avec qui j’aurais entretenu ce genre de relation ambiguë (mais elle n’est « ambiguë » que parce que c’est un homme !), j’aurais dit « Entre autres quoi ? » Et parce que c’était un homme, j’aurais laissé passer ? Ce n’était pas… juste, pas honnête. C’était lâche. Impossible de ne pas penser à Dougall. Impossible de me taire encore une fois. J’ai dit : « Entre autres quoi ? » Et il a été à la fois étonné, soulagé et terrifié. Il a essayé d’éviter la question plus longtemps, lui : « Vous savez entre autres quoi. » Et, oui, bien sûr, si je m’interrogeais sans détour, je le savais. Mais ce n’était pas comme s’il le disait, lui. Ou si c’était dit. Et, somme toute, ce n’était pas forcément à lui de le dire. Je devais peut-être cela à Dougall.

« Vous me désirez. »

Il l’observait maintenant avec attention, comme s’il avait réussi à se reprendre un peu. Il fit une petite moue : « C’est récent. Je veux dire, j’avais le contrôle. En fait, non, je ne vous désirais pas vraiment avant l’autre jour. Je me suis très bien neutralisé depuis des années. Et je sais très bien que vous ne me désirez pas, ne pouvez même pas l’imaginer. Je n’entretiens aucune illusion là-dessus. Certaines Bleues, oui. Vous, non. Même si vous avez reçu en grande partie une formation de Mère grâce à Antoné. Vous éprouvez de la curiosité, à la rigueur. Mais vous ne feriez pas cela.

— Non ! Pas à vous. Ni à personne qui me désirerait, de toute façon. »

Il hocha un peu la tête. « Reste quoi ? Je ne sais trop. Parler d’amour me semblerait un peu étrange. Je n’ai jamais rien éprouvé de tel pour personne. Guiséia… c’est Guiséia – un peu comme vous avec Tula, si vous voulez. »

Lisbeï sentit monter le « ce n’est pas la même chose ! », le retint assez longtemps pour réfléchir et dire avec sincérité : « Je ne sais pas. Il me semble que c’est très différent.

— La situation a été différente, les circonstances. Ce que je veux dire, c’est que vous n’avez jamais songé qu’il vous serait possible d’aimer une autre comme Tula. N’est-ce pas ? »

Avec un temps de retard, elle entendit qu’il n’avait pas dit « une autre que Tula », modifia sa réaction en conséquence. « Non. Non, bien sûr.

— C’est pareil pour moi avec Guiséia. Pareil pour elle avec moi. Je ne sais pas ce que je ressentirais si j’aimais d’une autre façon. Je ne sais trop ce qui m’attire, m’a attiré vers vous. Je ne me rappelle pas trop comment c’est arrivé. Guiséia m’avait parlé de vous, après l’Assemblée ici. Elle semblait séduite. J’ai donc été intéressé. Quand je vous ai rencontrée à Wardenberg, à la conférence… j’étais à la fois amusé et touché. Vous étiez si terrifiée, si résolue malgré tout.

— C’est la Célébration, alors ? » demanda Lisbeï. Toller s’interrogeait, essayait de reconstituer une histoire, Lisbeï ne pouvait pas ne pas entrer dans le jeu – même si cette histoire croisait la sienne de trop près.

« Non. J’ai été surpris d’être aussi influençable. Même plutôt irrité, je l’admets. Ensuite, j’ai été curieux de ce que vous feriez, mais sans urgence particulière. Simplement curieux. Vous m’avez surpris. Je ne pensais pas que vous oseriez venir à la Résidence rendre la veste. Un beau geste.

— Je ne savais même pas ce que je faisais ! »

Il se mit à rire malgré lui : « Peu importe. Cela m’a plu. Et votre obstination ensuite, à en apprendre davantage. Vous aimez comprendre, même si ça vous dérange. Et même si ça dérange les autres. C’est un trait que j’ai toujours trouvé irrésistible.

— Pas tellement admirable, pour ce qui est de déranger les autres. »

Il lui sourit, le même sourire sarcastique, sincère, que Guiséia : « J’aime aussi ce scrupule.

— J’ai eu ce genre de conversation avec votre sœur, je crois bien », finit-elle par dire, incrédule et presque amusée.

Il semblait très bien comprendre la source de son étonnement : « Peut-être les femmes et les hommes ne sont-elles pas si différentes que vous le pensez, sur certains points. »

Elle regarda l’eau du bief qui commençait à s’éteindre et, au-delà, les champs qui montaient avec les collines vers l’est et les Mauterres. La femme/Et l’homme. Fraine avait peut-être eu raison dans ses spéculations sur les relations entre femmes et hommes au temps du Déclin : peut-être y avait-il eu en effet en ce temps-là des femmes et des hommes rassemblées par autre chose que les exigences de la reproduction. Peut-être pouvait-il y en avoir encore ? C’était peut-être cela que la Danse voulait rappeler, en réalité ? Dans ce cas, que Garde ait institué ou non le rituel dans son intégralité serait un point mineur.

« Et ensuite, vous avez décidé de faire mon éducation.

— Toujours par curiosité. Voir jusqu’où vous étiez capable d’aller.

— Comme Kélys, dit-elle, se surprenant elle-même par cette découverte soudaine.

— Si vous voulez. Kélys est une éducatrice beaucoup plus… mystérieuse. »

Le mot la prit au dépourvu. Mais il était exact enfin de compte. C’était toujours un peu difficile de voir où Kélys voulait en venir. Et Toller devait la connaître mieux qu’elle : elle l’avait élevé, avec Guiséia, sans interruption pendant dix années.

Les pensées de Toller avaient suivi une autre pente : « Non, je ne sais vraiment pas ce que j’éprouve pour vous. Je m’entends bien avec Sygne mais c’est très différent. Elle avait l’expérience nécessaire pour comprendre et pour m’aider, quand je me suis… révolté, enfin… quand je suis devenu Bleu. » Ilse tourna vers elle : « Guiséia vous a raconté, je crois. »

Elle hocha la tête, et il poursuivit : « Sygne est…une amie, qui m’a permis de voir grandir les enfantes qu’elle a faites avec moi, qui m’a permis d’être ce que je n’ai jamais pu être pour Sylvane. Leur père, d’une certaine façon. »

Le silence se prolongea, souligné par les sifflements aigus des martinettes au ras de l’eau. La cloche de la Tour Sud s’ébranla lourdement pour sonner, sept heures sans doute. Elles avaient manqué le premier service.

« Dougall disait que nous étions ses amies, Fraine, moi et les autres, dit enfin Lisbeï, incertaine.

— Et c’était inexact en ce qui vous concernait. » Il n’y avait pas de reproche dans la voix de Toller, et Lisbeï se détendit un peu.

« Mais quelle différence…

— Je sais. Je me suis posé la question aussi. Ce n’est pas tellement le… désir physique. Mais je suis curieux de vous, en tout. J’aime être avec vous. Je voudrais que ce soit réciproque, évidemment. J’aimerais que vous puissiez me parler aussi librement que vous parlez… à Tula… »

Elle ne put retenir un sourire un peu amer : « Nous commençons seulement à envisager ce que ce pourrait être, parler ainsi. Ce n’est pas exactement une réussite.

— Je sais. C’est ce qui s’est passé avec Guiséia, quand je suis revenu. » Il s’assombrit : « Ce n’est plus possible maintenant avec elle, semble-t-il.

— Vous ne croyez pas, reprit Lisbeï au bout d’un moment, que c’est pour cela… »

Il lui sourit avec gentillesse : « Croyez-vous que je n’y aie pas pensé ? Mais j’ai bien vu, à Angresea. La présence de Guiséia rendait la frustration moins pénible. » Il ajouta : « Et ma présence rendait sa frustration moins pénible. Mais nous imaginer sans vous, toutes les deux là-bas, maintenant… C’est pour cela que je suis parti – qu’elle m’a dit de partir. Et elle ne veut pas seulement que je revienne : elle voudrait que je revienne avec vous. ». Lisbeï n’était pas sûre de comprendre tout ce que sous-entendait une telle confidence. N’était pas sûre de vouloir comprendre. Avec un amusement nerveux, elle se dit qu’elle était en train d’arriver à son propre « point de saturation ».

« Mais je ne peux pas, dit-elle enfin. Pas maintenant.

— Vous voulez vraiment aller dans ces Mauterres ? Vous y croyez à ce point ?

— Pas vous. »

Il réfléchit : « Logiquement, les indices sont trop minces. Mais (il sourit) illogiquement… Je me rappelle votre excitation quand vous avez trouvé le code. Vous étiez illuminée. Très convaincante. Et votre intuition vous a plutôt bien servi jusqu’à présent, n’est-ce pas ? »

Reconnaissante, elle marmonna quand même : « Il y a toujours une première fois.

— Écoutez, si ces Mauterres sont vraiment aussi contaminées qu’on le dit, nous devrions nous en rendre compte très vite. Nous n’entrerons pas par la passe des Renégates, nous pourrons faire demi-tour tout de suite ! Ce ne serait pas forcément mortel. Et si elles ne sont pas contaminées… Eh bien, on pourra aviser à ce moment-là. Revenir avec cette information, ce serait déjà quelque chose. Et de toute façon, j’ai toujours trouvé curieux que ces Mauterres restent si dangereuses alors que les autres s’améliorent.

— Kélys m’a presque dit, une fois, qu’elles sont maintenant habitables au-delà des pierres bleues.

— Vous voyez bien.

— Ce qui ne veut pas dire qu’elles le soient très loin.

— On ira voir. »

Elle le dévisagea ; sa voix avait eu presque la même résonance que celle de Dougall. Mais ce n’était pas Dougall. C’était un Bleu qui avait fait son Service, un homme qui avait quinze années de plus qu’elle. Il était censé savoir ce qu’il faisait, n’est-ce pas ?

« J’aimerais que Kélys ait la même confiance, soupira-t-elle en se détournant.

— Kélys viendra. À plus forte raison si je viens. Deux apprenties exploratrices à protéger ! » Il redevint sérieux. « Je crois que Kélys a peur de ce que nous pourrions trouver dans les Mauterres. Communautés ou renégates, elle craint les conséquences pour nous, pour le Pays des Mères, je veux dire. »

Lisbeï haussa les sourcils : Kélys, peur ? Toller comprit la mimique, sourit : « Elle est inquiète, disons. Elle a toujours eu des réserves à l’égard des changements nombreux et trop importants à la fois. »

Si on en juge par la réaction de Béthély (même si Béthély ne représente pas tout le Pays des Mères !), elle n’a pas forcément tort.

Lisbeï relut la transcription qu’elle venait de faire du dialogue avec Toller : « … peur de ce que nous pourrions trouver dans les Mauterres ». Maintenant qu’elle avait pris sa décision, elle pouvait bien admettre qu’elle n’en était pas particulièrement heureuse ni enthousiasmée. Elle irait… parce qu’elle devait y aller. Elle avait trouvé le carnet de Garde, elle avait trouvé la photographie et les papiers de Stellane, elle avait trouvé le code… On n’a rien sans rien. Il y avait un prix à payer pour savoir. Une sorte de logique interne à tout ceci exigeait qu’elle fût la première exploratrice dans les Grandes Mauterres. Elle aurait peut-être préféré se trouver dans une autre histoire, à présent, moins périlleuse, mais il était vain de prétendre que ce fil-là n’était pas le sien. Elle devait le suivre, n’est-ce pas ?

 

* * *

 

La Famille rendit sa décision vers la mi-novème, au cours d’une ultime réunion qui s’allongea tard dans la soirée. Lisbeï n’assistait plus aux réunions depuis la première – pourquoi s’infliger, cela ? Ce soir-là, elle se trouvait avec Toller dans la Bibliothèque, en train d’examiner encore les plus vieilles cartes de Béthély, qui permettaient de se faire une idée de la configuration générale des Grandes Mauterres. Il y avait aussi plus de quatre cents ans de rapports de surveillance des patrouilles, unanimes à indiquer l’intensité de la contamination générale et la lenteur des améliorations. Et les histoires à faire peur, aussi : les traces monstrueuses, les silhouettes inquiétantes entraperçues dans le lointain.

« Mais on n’a jamais rien capturé de vraiment monstrueux, remarqua Lisbeï, songeuse. Des traces, ça se fabrique.

— Et les échantillons de sol et d’eau ? »

Lisbeï se mit à rire : « Eh, qui argue de quoi, ici ? » Toller était souvent aussi rapide qu’elle à dire « oui, mais », quelle que fût son opinion réelle sur un sujet.

Il resta un instant interdit puis se mit à rire à son tour.

C’est à ce moment que Tula entra dans la salle des cartes. Il y eut un silence. Puis Toller se redressa, referma le livre de cartes.

« L’Assemblée de la Famille a rendu sa décision, dit enfin Tula, d’un ton très officiel. Béthély serait prête à soutenir une exploration dans les Mauterres de Callenbasch. »

Lisbeï fut un peu surprise tout de même : elle aurait pensé que la Famille rejetterait l’ensemble de ses hypothèses sur la localisation des communautés.

« Il est tard, dit Toller. Bonne nuit. Mère Tula. Bonne nuit, Lisbeï. »

Tula inclina la tête, alla rouvrir le livre sur la table, le feuilleta sans rien dire.

Lisbeï ouvrit la bouche pour protester mais Toller était déjà sorti. « Il aurait pu rester ! dit-elle au dos de Tula, avec un mélange de perplexité et d’irritation. Il viendra avec moi. »

Tula se retourna d’un mouvement brusque : « Dans les Grandes Mauterres ? Tu vas y aller quand même ?

— Mais… oui. » Lisbeï la dévisagea, incrédule : « Tu le savais bien !

— Non, dit Tula d’une voix basse, tendue. Non, je ne le savais pas. Je pensais que tu avais réfléchi.

— J’ai réfléchi !

— Non, tu t’es obstinée ! »

Elles se dévisagèrent. La colère de Tula augmentait à mesure qu’augmentait la stupeur de Lisbeï : « J’arrive à leur faire accepter Callenbasch, et non, il faut que tu ailles dans les Grandes Mauterres ! Et tu es étonnée !

— Tu n’as même pas essayé de me faire changer d’avis ! protesta enfin Lisbeï.

— Je croyais que tu étais capable de prendre une décision raisonnable toute seule ! Je croyais que tu avais fini par comprendre ! »

Consciente de la peine et de la peur qui couraient sous la colère de Tula, Lisbeï s’efforça de ne pas s’abandonner à sa propre irritation grandissante.

« Mais, Tula, pour moi c’est bel et bien raisonnable d’y aller. J’y crois vraiment.

— Et les conséquences ? Et tout ce qu’on a dit ? Ça n’a servi à rien ?

— Je ne crois pas au pire, Tula. Il est possible et j’y suis prête, comme nous devons toutes y être prêtes. Mais je crois aux autres possibilités. Aller à Callenbasch ne fera que retarder l’inévitable. Nous devons aller dans ces Mauterres-ci. Je dois y aller.

— Non, tu ne dois pas ! Rien ne t’y oblige, personne ! Que toi et ton entêtement insensé, ton orgueil, ton… ton égoïsme ! »

IL y avait des larmes dans l’aura de Tula et Lisbeï fut en deux pas près d’elle pour la toucher, l’étreindre, mais Tula se déroba, croisa les bras, vraiment un refus cette fois. Blessée, Lisbeï s’immobilisa. Comment lui faire comprendre ?

« Ce n’est pas ça, Tula, ce n’est pas ça du tout ! J’y crois. Je ne peux pas vraiment expliquer pourquoi mais je ne devrais pas avoir à le faire avec toi ! » Elle prit la main rétive de Tula, la posa sur sa poitrine. « J’y crois, Tula, c’est vrai, tu ne le sens pas ? »

Tula lui arracha sa main : « Et parce que tu y crois, tu penses que ça suffit ! Et moi ? Si je n’y crois pas, moi ? Est-ce qu’il faut encore que je fasse ce que tu veux ? »

Lisbeï s’écarta, ulcérée. « Encore ? C’est toi qui m’as dit de partir, l’autre fois !

— Tu ne pouvais pas rester ! Tu aurais été trop malheureuse ! Ce n’est pas pareil maintenant ! Je ne veux pas encore te perdre ! »

Mais c’était trop tard maintenant pour le dire enfin : les paroles de Tula avaient ravivé les souvenirs de Wardenberg, les premiers mois déchirants de solitude, et les sanglots qui ne soulageaient pas après chacune des lettres enfermées dans le tiroir.

« Tu me perdras si je reste », dit Lisbeï ; une braise dure et brûlante menaçait d’exploser dans sa poitrine ; elle ajouta, mue par une impulsion obscure : « Et, de toute façon, je ne serais pas restée, je serais retournée à Angresea. »

Tula se redressa comme si elle l’avait frappée, toute pâle sous ses cheveux roux : « Si tu pars, ne reviens pas ici, jamais ! » dit-elle entre ses dents serrées.

La colère, la souffrance, la supplication avaient disparu, dérobées derrière la barrière-miroir.

Ne fais pas ça, faillit hurler Lisbeï, mais sa propre rage l’avait rendue muette, une vague brutale où elle se sentit vaciller, tomber, couler. Elle se détourna, sortit d’un pas hésitant qui se transforma en course aveugle dans le corridor, jusqu’à l’escalier principal, jusque dans la cour et droit devant vers l’Esplanade Ouest.

Elli pleuvait, une petite pluie froide proche du grésil. Les Tours étaient encore éclairées ici et là mais il n’y avait plus personne dehors : les membres de l’Assemblée familiale s’étaient dépêchées d’aller se coucher après la fin des discussions. C’est ainsi que Lisbeï fut la seule à voir arriver la cavalière sur sa chevale trempée, au pas, apparemment aussi épuisées l’une que l’autre. Elle se porta à leur rencontre, étonnée. Il faisait trop noir sur l’Esplanade mais, quand elle eut prit la bride de la chevale et levé la tête vers l’ombre encadrée par le capuchon dégoulinant, elle n’eut pas besoin de poser de question : fiévreuse, bouleversée, c’était la lumière de Guiséia.

Chroniques du Pays des Mères
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